Nos aventures tunisiennes ont pris fin avec quelques bons moments et émotions, encore. Après l'escale délicieuse de Sidi Bou Saïd, nous avons repris la mer sachant que nous aurions une bonne brise pour faire le tour du cap Bon. Nous n'avons pas été déçus avec un vent de NW de 25 à 35 nœuds qui nous a permis de gagner Kélibia en 8 heures pile soit à la moyenne fantastique de 7,4 nœuds chrono, sans forcer, et sans une minute de moteur, sur une mer magnifique et blanche de moutons. Une belle après-midi, passant entre les ilots tunisiens de Zembra et Zembretta, puis longeant la côte est du cap Bon à la poursuite d'un autre voilier français que nous avons finalement rattrapé juste à l'arrivée. Mais le vent était si fort que nous avons préféré mouiller à l'extérieur du port, plutôt que de manœuvrer dans les rafales, dans un port manifestement encombré et surtout réservé aux pêcheurs.

Cap Bon



A peine l'ancre au fond, alors qu'Alain s'affairait à ranger à l'intérieur et que Marie se trouvait à l'arrière, un double bruit de chute bien sonore nous a alerté. Montant sur le pont, nous avons découvert une mouette, avachie près d'un hublot, les ailes prises dans les mains courantes, complètement groggy. Probablement une mouette maladroite ou déjà sonnée par deux ou trois apéros corsés, qui s'est emplafonnée dans le mât au crépuscule et a terminé par une chute de quinze mètres sur le pont, d'où les deux chocs. Elle a à peine esquissé un geste de défense lorsque qu'Alain l'a saisie dans les mains pour la mettre à l'abri et qu'elle puisse se remettre de ses émotions. Elle tenait sur ses pattes et a vomi un gros débris de méduse: une fois reposée sur le pont, elle a plongé immédiatement, flottant normalement, mais incapable de nager. Le vent l'a fait dériver vers l'entrée du port et nous l'avons perdue de vue. Fin de l'Acte 1.



Jeudi, le vent étant encore très fort, nous sommes restés au mouillage, bricolant et lisant à bord.



Vendredi matin, avec une meilleure météo, nous avons entrepris les démarches libératoires vis-à-vis de l'administration tunisienne en vue d'une exfiltration vers l'Europe toute proche. Il n'a fallu qu'une heure pour que la police et la douane fassent leur travail, contrôlent nos papiers et vérifient que nous avions bien à bord tout le matériel déclaré à notre arrivée une semaine plus tôt. Puis nous sommes partis en direction de Pantelleria, regrettant un peu de ne pas avoir pu visiter la formidable forteresse Byzantine qui domine le village (l'extérieur est superbe, mais l'intérieur est, d'après un douanier, en ruines), mais ayant profité encore plusieurs fois des appels du Muezzin de Kélibia.

Byzance



Encore une belle journée de navigation musclée, régatant avec deux autres voiliers qui on pris la même direction que nous, et laissés rapidement loin derrière (pourtant de beaux voiliers). Aussitôt sortis des eaux territoriales tunisiennes nous avons repris la pêche à la traine. Mais il n'est pas impossible que nous ayions un peu perdu la main. Rien à faire pour remonter à bord les quelques touches que nous avons senties. Les oiseaux de mer magnifiques qui se jouent des rafales et planent entre deux vagues pour ressortir devant ou derrière nous, sont très intéressés par nos rapalas, et une fois encore, l'un d'eux, après plusieurs passages de reconnaissance en rase motte, a fini par se laisser tenter et à plongé. Malheureux imbécile, il s'est ferré fortement sur l'un des hameçon et, alors qu'Alain tentait de le ramener à bord pour le libérer, l'émerillon a cassé. Il s'est donc trouvé titulaire d'un magnifique ensemble comprenant une paravanne quasiment neuve, cinq plumes d'oie dissimulant de splendides hameçons en inox et une cuillère argentée munie d'un trident acéré. Nous ne savons pas comment il compte s'en servir, mais maintenant tout cela nous fait défaut et, en plus, nous sommes inquiets sur son avenir à court terme. Fin de l'Acte 2.



Dans l'après-midi, l'approche de Pantelleria nous a moyennement tentés, d'autant plus que le vent était encore soutenu, nous incitant à en profiter, que cette île volcanique noire est remplie de vieux bâtiments industriels et que son port n'est ni attractif ni bien abrité avec la bonne houle d'ouest du moment. Nous avons donc poursuivi notre route vers Malte, sans état d'âme, éliminant du même coup les visites dans les îles Pélagie plus au sud, que nous avions aussi envisagées, et zappant la visite de la côte sud de la Sicile.

Pantelleria



Le vent est progressivement tombĂ© comme prĂ©vu pendant la nuit, et c'est en utilisant le "vent de cale" que nous avions ralliĂ© Malte, non sans quelques touches puissantes dont deux ont failli blesser Marie et finalement emportĂ© "ad patres" deux de nos meilleurs rapalas dont celui offert Ă  noĂ«l par Estelle (sniff). Les bĂŞtes devaient ĂŞtre costaudes, mais c'est le jeu, dans ce genre de combat, l'animal a sa chance ! Plus que nous, pour le moment ! Mais ces affreuses frustrations ont Ă©tĂ© compensĂ©es en partie par la vision superbe d'un Ă©norme espadon qui s'est mis Ă  sauter verticalement hors de l'eau Ă  plusieurs reprises tout près du bateau. Si c'est une de ces magnifiques flèches d'argent d'au moins trente kilos qui nous ont dĂ©faits de notre matĂ©riel, nous n'avions effectivement aucune chance d'en remonter une Ă  bord. Mais que la nature est belle ! Fin de l'Acte 3.

Falaises



Nous n'avons aperçu l'Ă®le la plus Ă  l'ouest de l'archipel maltais (Gozo) qu'Ă  peine une heure avant d'y arriver, car le temps, bien qu'ensoleillĂ© Ă©tait un peu brumeux. Puis nous avons longĂ© ses majestueuses et très hautes falaises calcaires pendant une heure sans voir âme qui vive ou presque, mais en contemplant avec plaisir les quelques villages et villes de cette Ă®le dont la tradition chrĂ©tienne ne fait aucun doute si l'on compte le nombre de clochers, dĂ´mes et basiliques que l'on y voit. Cela change des minarets, et les cloches sont tout aussi agrĂ©ables pour nos oreilles que le muezzin !



Nous visions une crique dite "Blue Lagoon" (un pléonasme) située dans la toute petite île de Comino, entre les deux îles principales. Deux minutes à peine avant d'arriver, et sans aucun signe avant coureur, nous avons changé de monde. Nous venions de plonger dans une civilisation des loisirs nautiques bruyante, motorisée et tapageuse, comme on la connait dans les coins les plus fréquentés de la côte d'Azur en août. Il est vrai que le site est magnifique, bien abrité, que nous sommes samedi et que demain c'est la pentecôte: incroyable bolides sur motorisés, haut-parleurs hurlant à tue-tête sur les bateaux voisins, sillages omniprésents de promène-couillons, encombrement du plan d'eau tel qu'il faut faire bien attention où poser son ancre, norias d'hélicoptères dans le ciel, bref, rien que de bons souvenirs que nous avions un peu oubliés dans les immenses étendues marines inexploitées, mais sur contrôlées de Tunisie. Un vrai choc qu'il nous a fallu plusieurs heures pour digérer.

Blue Lagoon



D'autant plus que nous étions un peu fatigués par une nuit en mer, et que le délicieux poulet basquaise aux piments d'Espelette que nous avons dégusté pour déjeuner, a favorisé un certain relâchement dans l'après-midi.



Nous allons consacrer quelques jours à la capitale de l'archipel, La Valette, puis reprendrons notre progression vers la mer Ionienne et les îles grecques, en passant en principe par la côte est de la Sicile, puis le talon de la botte italienne. Mais il y aura un autre billet pour cela.