Les premières navigations ont été l'occasion de nous intéresser, plus encore que par le passé, à un oiseau marin magnifique. Plus il y a de vent, plus il est à l’aise, et son comportement n’en est que plus spectaculaire dans l’alizé musclé que nous avons eu ces derniers temps.

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Le Fou de Bassan vole sans effort apparent, presque immobile, en « surfant Â» sur les vagues invisibles prĂ©sentes dans l’air, sans doute en grande partie provoquĂ©es par les vagues de la mer elle mĂŞme. Son dos et ses ailes sont sombres sur le dessus, et tout son corps est Ă  peine moins foncĂ© en dessous. Il est ainsi quasiment invisible du haut mais aussi de la surface de la mer et Ă  plus forte raison de ceux qui vivent en dessous.

La présence d’un voilier est sans doute pour lui une aubaine, je pense au moins pour deux raisons.

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La première est qu’il peut profiter des turbulences crées par la coque et les voiles pour faire encore plus d’économies dans son vol. Son plané trahit à peine l’extrême réactivité de tout son corps pour transformer en énergie positive chaque rafale, chaque remous d’air et choisir avec adresse l’endroit précis où il profite le mieux de ces perturbations. Par moment il se tient presque immobile sur l’avant du bateau à un mètre de l’étrave qui plonge et remonte à chaque vague, puis il choisit de surveiller l’océan depuis la première barre de flèche. Subitement, sans raison apparente, il file vers l’arrière, passe sur l’autre bord, puis remonte au vent en rasant les vagues, juste sous des voiles, et réapparait en faisant une chandelle au- dessus du balcon avant, avant de reprendre son poste d’observation à quelques mètres au-dessus du pont.

La deuxième est qu’il sait parfaitement que les poissons volants, dérangés par l’arrivée dans leur domaine d’une coque étrangère, se demandent s’il s’agit éventuellement d’un prédateur et préfèrent le fuir en se catapultant vigoureusement hors de l’eau pour un de ces vols planés sensés les mettre hors de portée. Et alors, l’œil perçant du fou, qui n’attend que cela, lui met l’eau à la bouche. D’un piqué aussi rapide que précis, il pique, espérant gober au vol l’un de ces prétentieux qui pensaient avoir échappé à la daurade coryphène ou au thonidé supposés les poursuivre.

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Mais la vivacité et l’adresse du Fou ont des limites, d’autant plus que la victime potentielle est capable de se relancer plus loin de quelques vigoureux coups de queues sur la surface, ou de replonger avant la fin naturelle de son plané. Alors, le Fou essaie de la suivre et le piqué vertigineux du prédateur se poursuit sous l’eau, parfois à quelques mètres du bateau. Si l’agile poisson volant lui échappe, comme assez souvent, il ressort de l’eau sur l’élan de son plongeon et reprend son vol majestueux sans un coup d’aile. Ce spectacle est impressionnant et laisse sans voix devant la polyvalence et les performances de cet oiseau d’environ deux mètres d’envergure.

Mais s’il réussit son coup, il ressort de l’eau en restant à la surface, et avale sa proie dans une sorte de tressaillement de tout le corps, commençant par une extension du cou vers le haut, secouant la tête vigoureusement puis se termine par une brève agitation de la queue. Quelques secondes après, avec deux ou trois battements de ses grandes et fines ailes, il reprend son vol et son poste d’observation à quelques mètres au dessus du pont. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ait absorbé sa dose de nourriture quotidienne. Un autre vient alors le relayer jusqu’à la tombée de la nuit.

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Mais la digestion de ces volatiles est Ă  leur image, très rapide. Alors il ne faut pas s’étonner de recevoir pĂ©riodiquement quelques doses de guano sur le pont, les voiles ou mĂŞme les coussins du cockpit, lorsqu’ils planent Ă  leur poste de surveillance. Les prochains embruns ou la prochaine averse auront tĂ´t fait de nettoyer ces salissures finalement bien modestes en comparaison du magnifique spectacle offert !