Départ en trombe

Ma vieille lubie soixante huitarde commence à prendre forme: "laisse tout tomber et pars !". Justement, à 68 ans révolus depuis quelques semaines, un vieux rêve de gamin démarre. Après quelques années de préparation et de mises au point, tant pour le bonhomme que pour le bateau, j'ai quitté Hyères ce mardi 20 août 2013 avec comme destination initiale les Antilles.

On y est pas encore et je n'ai pratiquement rien laissé tombé, contrairement à d'autres qui vendent leur maison et tous leurs biens, résilient tous leurs abonnements et partent avec un lance pierre pour projeter des messages sur le pont des navires croisés afin de donner de leur nouvelles à leurs amis et famille. C'était un autre siècle et à l'époque d'Internet et du téléphone satellite, on peut garder tous ses liens quasiment en temps réel. Mais c'est vrai que la séparation n'est pas simple pour qui est habitué à voir sa douce et ses proches tous les jours ou presque. Heureusement elle me rejoindra dans certaines des escales les plus attrayantes, sans avoir à contempler le spectacle des océans lors de longues traversées. Quant à la famille, elle fait déjà des plans de voyages, l'occasion de découvrir des destinations tropicales nouvelles faisant le larron.

La première étape sur cette longue route était Minorque: 208 milles à parcourir en ligne droite si on le peut et avec le moins possible de gasoil. Le petit coup de mistral de lundi devait laisser la place à une brise modérée qui s'évanouissait au fur et à mesure que la dépression se déplaçait vers le sud. Pour avoir du vent il fallait partir au bon moment et la poursuivre.

Gagné ! après le passage du Langoustier, la grosse houle de trois mètres par moment était juste un peu inconfortable et le vent attendu n'a pas tardé à arriver: 15 à 20 nœuds au portant presque jusqu'au bout et seulement 2h30 de moteur. C'est tellement rare en Méditerranée qu'il faut le signaler. Serait-ce une préfiguration des étapes futures ? J'ose l'espérer, en tout cas c'était bien agréable.

Arrivé au mouillage à Mahon juste après le magnifique coucher du soleil et le lever de lune, la Cala Taulada est bien accueillante avec quelques autres voiliers en escale. Au réveil, changement de décors, une vedette officielle se présentait à chaque occupant des lieux. Quand ce fut mon tour, la surprise était de taille. Le mouillage est maintenant interdit dans toutes les criques de l'immense port de Mahon (il n'en restait déjà plus qu'une autorisée) et seulement toléré pour les cas urgents dans celle là, moyennant une redevance. Quelques euros pour avoir déposé son ancre et plus de 40 pour "utilisation du balisage maritime". Cette dernière "invention" de l'administration espagnole donne droit à bénéficier des phares et balises de toutes les côtes espagnole pendant trente jours. Pour l'année cela représente presque 500 euros pour voir des feux et des bouées ! On croit qu'on rêve, mais non, En échange de ce délestage élégant, on reçoit un superbe reçu officiel à conserver pour le présenter aux autres autorités avant son échéance, Je me console en me disant que je contribue peut-être un peu ainsi à soulager les misères du peuple espagnol qui en a bien besoin en ce moment.

Bon , une petite visite en ville permet quand même se recharger la cambuse en légumes et fruits, plus un magnifique saucisson sec minorquin et d'acheter une carte SIM locale pour les connexions Internet.

Aussitôt fait, nous reprenons la mer avec une brise favorable pour se diriger vers la grande ile voisine, Majorque. Une belle journée de mer, très apaisée, à lire, faire un peu de cuisine jusqu'à la tombée de la nuit. Au moment où le vent tombe, relevant la ligne de traîne, la surprise divine fut d'y trouver accrochée une petite mais vigoureuse daurade coryphène qui servira de repas demain. La première prise de l'année, ça mérite un coup de rhum pour tout l'équipage ! Espérons qu'il y en aura d'autres.