Le retour de Curaçao à Bonaire, contre le vent, pour la première fois depuis des mois, était l’occasion d’un double test. Aurions-nous la patience de grignoter les milles l’un après l’autre en luttant contre l’alizé et la mer ? Le bateau serait-il vraiment bien étanche aux paquets de mer qui nous tomberaient immanquablement dessus avec une régularité d’horloge ?

Il nous a fallu près de huit heures pour ce parcours de 37 milles en ligne directe, mais nous en avons en réalité parcouru 52, compte tenu du louvoyage, avec seulement quatre virements de bord. Et nous sommes arrivés secs ! En extrapolant pour l’étape suivante, de 90 milles vent debout, il nous faudra donc prévoir 24 heures de louvoyage. Bigre, ça commence à compter. Nouveau test en perspective. En attendant, il va falloir soigner ce rhume et cette toux qui m’ont repris après les passages nombreux dans les bureaux trop climatisés des administrations locales.

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Après deux jours de repos, bricolages et lectures variées, quelques courses et des formalités faciles, nous reprenons la mer lundi 21 en direction de l’archipel « Los Roques Â» situé à 75 milles au nord de Caracas. J’avais oublié mon passeport sur le bureau des douaniers de Kralendijk, et je m‘en suis aperçu à temps pour retourner le chercher avant la fermeture. Ils m’attendaient avec un petit sourire,….. Pas de panique……… !

La traversée fut dure, marquée par des incidents auxquels je ne m‘attendais pas. Tout d’abord la découverte d’une blatte américaine dans le local poubelle. Sinistre souvenir de l’invasion subie l’hiver dernier qui nous avait pourri tous les compartiments à bord et finalement nécessité un traitement de choc après le désarmement. Heureusement rien de grave cette fois, l’épidémie s’est arrêtée sans suite fâcheuse. Pas de panique…….. !

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Puis la protection de la jupe arrière qui s’est de nouveau décollée dans sa partie haute à bâbord, donnant un aspect misérable à Dartag remorquant un gros serpent dégoutant. Avec une sangle, j’ai pu la récupérer et la sécuriser avant une réparation définitive ( ?) à la prochaine escale. Pas de panique,…. !

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Enfin, plus grave, le nerf de chute de la grand’voile s’est cassé net dans sa gaine. Impossible de le réparer en mer, et cela nous prive de ce réglage indispensable pour rigidifier la voile. Après de nombreux essais sur les autres manÅ“uvres de la grand’voile, je trouve finalement un réglage moyen, moins bon, mais réduisant des trois quarts les battements qui ébranlent tous le gréement. Pas de panique………. !

Au petit matin, après être passés pendant la nuit, sous la pleine lune mais sans les voir, entre les deux dangereux atolls inhabités d’Avès, nous approchons de Islas Los Roquès. C’est un ensemble de récifs et côtes basses sablonneuses dont certaines sont habitées par des pêcheurs, formant approximativement un cercle de 15 à 20 milles de diamètre. Comme celles passées la nuit, elles appartiennent au Vénézuéla.

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Fatigué par la nuit de louvoyage dans une brise forte (25 à 35 nÅ“uds) avec une mer dure, et privé des réglages essentiels de la grand’voile, je renonce finalement à la voile et mets en route le Volvo pour terminer les dix derniers milles droit dans le vent à sec de toile. Le premier mouillage possible sera le bon !

Et alors là,……. le rêve ! Entre deux îlots appelés Dos Mosquises, guidés par un alignement (marqué sur la carte) au 063° sur trois cocotiers (!), nous mouillons notre ancre avec quatre autres voiliers à deux cents mètres d’une plage de sable blanc, sur une eau cristalline, calme, avec un soleil resplendissant, et une brise puissante pour rafraichir l’atmosphère et recharger les batteries.

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L’endroit est tellement parfait et beau que le paradis doit être à peu près comme cela. J’irai le vérifier un jour, comme tout le monde, le plus tard possible, mais quel bonheur ! Après un peu de repos, un bon bain et une douche, je peux attaquer les réparations.

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Elles sont terminées dans le milieu de l’après-midi, et une petite balade en Zodiac m’approche de la plage où s’ébattent les plaisanciers des autres voiliers. L’un d’eux me hèle dans un français sans accent et me demande si tout va bien. Bonne occasion de faire connaissance de ces familles venant de Caracas pour la semaine sainte de vacances. C’est un suisse francophone installé au Vénézuéla il y a trente ans qui est en balade avec des amis du même yacht club. Très instructif et intéressant de savoir comment ce pays de cocagne connaît actuellement une descente aux enfers, économique, citoyenne, démocratique, sociétale, où la vie quotidienne est perturbée en raison des choix politiques faits depuis vingt ans et dont tous se demandent combien cela pourra durer.

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Le lendemain, mercredi, appareillage vers un autre coin de rêve, Sarqui, où la baie d’un demi-mille de long est occupée par une douzaine de voiliers. L’occasion d’une magnifique balade à pied dans cet îlot plat couvert d’une maigre végétation sèche, entouré de plages de sable sur la côte sous le vent, et d’un chaos de fragments de rochers calcaires coralliens sur le côte au vent où de nombreux détritus s’accumulent. Entre les deux, des salines naturelles de la couleur rose des bassins saturés de sel de Camargue ou des Pesquiers.

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Histoire de déstocker et trier les photos dans l’ordinateur, j’appuie sur le bouton de mise en route du Toshiba. Sans effet, aucun, même en insistant longuement. Bon sang, il ne m’a jamais fait ça, qu’est-ce qui lui prend ? Heureusement, j’avais fait une sauvegarde complète le 7 mars, mais, depuis cette date, les fichiers sont peut-être perdus….. Je déstocke le micro de secours, un ACER que j’avais gardé à bord, configuré comme le Toshiba, avec Windows 10. Miracle il démarre du premier coup et va bien me dépanner. Je remets le Toshiba dans son sac et à tout hasard le range dans le compartiment au dessus du frigo qui est légèrement chauffé et donc moins humide, me disant qu’il a peut-être un détecteur de « moisture ». En effet les conditions atmosphériques de ces derniers journées ont été extrêmes, avec en permanence entre 97 et 100 % d’humidité.

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Troisième escale, jeudi, à Crasqui, toute en longueur et entourée de bancs de sable et haut-fonds si bien qu’il y a peu de voiliers, la grande majorité des yachts présents sont de grands bateaux de pêche au gros, puissamment motorisés. Il faut dire qu’à 35 € les mille litres de gasoil, il ne faut pas se priver, et encore le tarif vient d’être multiplié par 20. Avant c’était moins cher que l’eau !

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Sans trop y croire, après 24h au chaud, je sors le Toshiba de son sac et appuie sur le bouton. Miracle, il démarre immédiatement, normalement. Ouf, tout va bien, je fais toutes les sauvegardes et remise l’ACER dans son sac étanche. Pas de panique ……. !

Evidemment, pour se ravitailler et même pour un autre besoin essentiel aujourd’hui qu’est la communication ou Internet, c’est le désert. Il faudra attendre, peut-être, d’arriver à la capitale de cet archipel pour cela, et faire les formalités d’entrée, car jusqu’à maintenant nous sommes clandestins !

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Quelques milles plus loin, ce vendredi matin, remontant une forte brise (encore) nous arrivons à Gran Roque, la capitale et ile la plus au nord de l’archipel. Petite déception, le mouillage devant la ville n’est pas aussi idyllique que les précédents.

Nous débarquons après le déjeuner après avoir demandé à un autre voilier où se rendre pour les formalités. Pavillon Vénézuélien, mais excellent francophone, il nous explique tout, y compris les petits « arrangements Â» qu’il faudra trouver pour le change et faciliter les choses.

Les douanes sont près de l’aéroport, au bout du mouillage. En effet la cabane est là, marquée « immigration ». Un employé m’entraine dans un bureau officiel climatisé à mort, c’est bien ma chance, mais au moins il n’y a pas de courants d’air. Un seul des fonctionnaires présents parle l’anglais et m’offre ses services. Il peut tout pour moi et s’arranger pour que je sois en règle en payant le moins possible, mais vous savez, me dit-il, les tarifs ont changé la semaine dernière, multipliés par quatre ! Pas de chance.

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Finalement, après beaucoup d’explications, la visite de trois bureaux différents, je me retrouve avec mes papiers tamponnés pour l’entrée et la sortie et une énorme liasse de billets de 100 bolivars vénézuéliens en échange de celui de 20 dollars confiés à un fonctionnaire qui me proposait un change favorable. Les contreparties sont que je dois officiellement rester deux jours au maximum, que je paie directement mon visa de 10 dollars, et j’ai aussi laissé quelques milliers de bolivars aux « intermédiaires ». Je comprends également que les 20 dollars qui m’ont été échangés au marché noir local, ont laissé quelques traces dans la chaine de change. Bref, pour finalement une somme vraiment modeste, ma situation est régularisée et je ne devrais pas avoir de soucis avant mon départ. Pas de panique,……. !

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Il me reste à trouver des vivres frais, et avec les 15 000 bolivars qui me restent, cela devrait être une formalité. Pas si facile car les commerçants locaux sont peu nombreux et les livraisons étant le mercredi, ils n’ont quasiment plus rien à vendre. Je tenterai encore ma chance samedi matin en même temps que je profiterai de la Wifi gratuite que le gouvernement met partout à disposition de tous les résidents sans aucune restriction, et elle marche ! Cela complètera aussi ma visite de ce village plein de verdure, sans voitures ni mobylettes, où les bâtiments sont tous de plein pied, colorés autour de places et de rues sableuses, non asphaltées. Il y a beaucoup d’enfants et des jeunes mais aussi des vieux dont le type est sans doute issu du métissage total de cette société : pas de blancs, ni de noirs, d’indiens ni d’asiatiques, un mélange mondial autour de son église dont la porte principale débouche directement sur la plage.

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J’ajouterai quand même que la couleur de l’eau sur la plage n’incite pas vraiment à la baignade. Cela n’empêche pas les pélicans bruns d’être très nombreux et le spectacle de leurs plongeons au milieu des bateaux de pêche, parfois à quelques mètres du bord, est magnifique et impressionnant. Les frégates, aigrettes et autres sternes sont aussi de la fête, certaines de ces dernières n’hésitant pas à se percher sur la tête du pélican qui vient de ressortir de l’eau, espérant le perturber lors du déglutissement de sa proie pour la récupérer.

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Dimanche ou lundi, en fonction de la météo, nous reprendrons la mer vers le nord des Caraïbes, Porto Rico ou les iles Vierges, selon la direction du vent. Ce retour dans des zones plus « organisées Â» et « prévisibles Â» n’est pas pour me déplaire, après presque deux mois de voyage dans des pays exotiques souvent surprenants.