Lipari, capitale des iles Eoliennes, est une ile pleine de ressources. La citadelle normande recèle des trésors archéologiques remontant jusqu'à la période mycénienne, et les fouilles de ces dernières années ont même fait apparaître un habitat antérieur à 5000 ans avant JC. Le théâtre grec, plutôt petit et magnifiquement restauré, est utilisé régulièrement pour des spectacles contemporains. La cathédrale San Bartolomeo, construite entre le 13ème et le 17ème siècles est immense, et jouxte un petit cloître normand intime, presque austère, au milieu d'un jardin planté de cyprès et couvert de sarcophages en pierre de l'antiquité et du moyen âge.

cloitre normand



En cette deuxième quinzaine de septembre, l'activité touristique était encore vive et je trafic de ferries, aliscafi à un ou deux étages et autres catamarans rapides donnait l'impression de battre encore son plein. Après avoir fait quelques courses de souvenirs et de ravitaillement, et enfin trouvé du lait demi écrémé UHT qui n'existe pas en Grèce, il nous a fallu un certain courage pour reprendre la mer, après une si courte escale.

baie nord



Dès le départ, ce vendredi vers 14h, nous avions en tête de procéder à une moisson de pierres ponce qui flottent en grande quantité à la surface de la mer au pied des carrières encore exploitées du nord de l'ile.

pierre ponce flottante

Muni d'une épuisette à mailles fines qu'il suffisait de laisser trainer dans l'eau, la récolte a été fructueuse et nous pouvions alors mettre le cap sur notre prochaine étape, sur le chemin du retour. Belle après-midi de mer, à la voile, avec un temps magnifique, même si le vent était un peu faible. Nous musardions encore un peu en trainant une ligne sans trop de conviction. Une secousse impressionnante nous a sorti de notre torpeur suivie du défilement ultra rapide du moulinet. Alain, appelé à la rescousse, a serré le frein pour éviter d'aller en bout de ligne trop vite. Mais la prise était grosse, et il n'a réussi qu'à remonter le fil cassé net. Encore un rapalas, qui avait déjà montré ses qualités, et tout son accompagnement perdu ! Après un instant de découragement, le remontage de la ligne s'imposa, mais plutôt pour le lendemain, la nuit étant de toute façon proche.

il se fatigue



Celle-ci s'annonçait très étoilée en raison de la nouvelle lune, mais le vent tomba complètement avant minuit, alors que nous n'avions fait que 38 milles utiles vers notre destination encore distante de 140. La risée Volvo prit le relais et dès l'aube nous trainions à nouveau la ligne remontée à neuf. Vers 9h45, nouvelle alerte musclée, ponctuée par le défilement ultra rapide du moulinet dans un hurlement de crécelle. Cette fois, l'arrêt d'urgence du moteur permit de ne pas tout casser immédiatement. Puis, avec une patience infinie, sans trop serrer le frein, Alain remonta la ligne, laissant la "bête" reprendre plusieurs fois du fil dans des accès de colère bien compréhensibles. Mais elle finissait pas se fatiguer, et les reflets bleus argentés d'une grosse prise s'approchèrent de la surface vers 10h. Bientôt, il fut possible de la voir et de lui maintenir la gueule hors de l'eau, sans aucun espoir de la sortir complètement en levant la canne, tant elle était lourde.

victoire !

Après dix minutes d'un dernier combat, elle finit par expirer, toujours prisonnière de son hameçon. Pour la remonter à bord il fallut lui passer une corde autour de la queue et la hisser par l'arrière dans la jupe. Alain plongea à moitié pendant que Marie tenait la canne, prête à donner du "mou" dans la ligne au moment du hissage.



dépeçage

Première victoire sur un thon blanc dit "germon" de belle taille: 87 cm de long et 18 cm de diamètre pour un poids estimé de 12 à 14 kilos (voir le rictus d'effort d'Alain lorsqu'il porte cette magnifique prise à bout de bras). L'envergure de la nageoire caudale qui deviendra un superbe trophée est de 24 cm. Le dépeçage et le tranchage, avec la scie à pain du bord, car aucun autre couteau n'avait la taille requise pour une telle pièce, pris plus d'une heure d'efforts intenses car la grosse arrête centrale et les ligaments musculaires, d'autant plus denses que l'on s'approche de la queue, sont extrêmement résistants. Et le nettoyage du "chantier" demanda aussi un bon moment. Vers 12h, le grand frigo du bord était chargé jusqu'à la gueule et nous avions gardé disponibles deux tranches qui nous feront finalement trois repas, jusqu'à ce dimanche midi.



Il était apparu immédiatement que nous ne pourrions pas garder pour nous cette énorme quantité de poisson, même si nous en sommes très friands. Ce seront donc des plaisanciers français au mouillage dans notre escale suivante qui se verront probablement proposer les surplus, une fois mis en conserve tout ce que nous pourrions garder. Naturellement il n'est plus question dans l'immédiat de reprendre la pêche et nous avons remisé les cannes jusqu'à nouvel ordre.



Mais nous n'étions pas encore à destination. Heureusement après cet intermède, le vent est revenu d'une direction acceptable, si bien que nous avons repris notre marche en avant jusqu'à la nuit, avec un ciel qui se couvrait de plus en plus. Vers 21h30, nous étions littéralement cernés par les orages qui nous rappelaient bigrement ce que nous avions vécu deux nuits plus tôt en mer Ionienne. Hélas cette hypothèse s'est confirmée, et nous avons bataillé encore toute la nuit contre des éléments déchainés, toutefois la période intense des éclairs n'a duré que quatre heures, contre dix précédemment. Mais la pluie était plutôt plus forte et le vent fou, et presque tout le temps défavorable. Nous avons donc adopté à nouveau la tactique de la tortue, rentrant la tête dans les épaules et comptant sur nos moyens électroniques et thermiques pour nous amener à destination. Quand, après avoir slalomé entre les récifs et ilots plus ou moins visibles avec cette pluie, nous avons laissé tombé l'ancre dans le mouillage de Ponza vers 5h30 du matin ce dimanche, nous avons poussé un certain soupir de soulagement avant de nous laisser aller dans les bras de Morphée.



aube glauque à Ponza



Au réveil, la situation était calme et nous avons fait un petit tour à terre, proposant à l'équipage d'un autre voilier français quelques tranches de thon qu'il a acceptées avec enthousiasme, nous invitant à prendre l'apéro sur leur bateau le soir. La ville de Ponza où nous étions déjà passé l'année dernière est toujours aussi agréable, et si la météo pour ce lundi n'est pas vraiment encourageante, il n'est pas exclu que nous y restions un peu, afin de réduire les risques de nouvelles nuits d'enfer comme celles que nous venons de vivre.



Notre prochaine escale sera peut-être la dernière "à l'étranger", puisque nous visons maintenant la Corse pour mercredi ou jeudi prochain. D'abord Bonifacio ou Figari, puis Ajaccio. Cela commence à sentir le bercail !