Sortant du canal de Lefkas par le sud, nous avons appris simultanément la mort de Mikle Jackson (artiste controversé, mais c'était peut-être ce qu'il avait de mieux à faire pour sa légende) et Farah Fawcett (une "drôles de dames", mariée deux jours auparavant à son compagnon de 25 ans Ryan O'Neill, le héros du merveilleux film qui a fait beaucoup pleurer Margot, "Love Story" dans les années 60).



Dans ces conditions, nous ne pouvions pas ne pas faire un pèlerinage sur la tombe des Onassis, située à deux jets de pierre de notre position. C'est donc ce que nous avons fait, jusqu'à la plage où Jackie aimait se baigner, découvrant au passage l'ilot de Madouri où se trouve la maison, aujourd'hui transformée en musée, du poète Aristote Valaoretis auteur de l'hymne nationale grec.

scopios



Mais la suite de notre programme nous réservait des impressions et émotions bien plus grandes encore, que nous ne pouvons pas encore passer en revue sans être pris du syndrome de la chair de poule.



Tout d'abord le site de Nidri, devenu une station très pipolle, dans son écrin de verdure, son golfe Vlikho et sa "Tranquil Bay", désormais un peu moins tranquille mais encore bien agréable, où nous avons fait une halte, le temps d'un déjeuner.

tranquil bay



Très vite, une étape à Méganisi nous est apparue comme incontournable rien qu'en regardant la carte. Les côtes sont tellement découpées que le choix est difficile pour trouver le meilleur endroit où passer une nuit à l'abri, pouvoir déguster un café frappé, faire quelques courses de frais et une petite promenade tournée vers l'intérieur de l'île pour découvrir un village typique. Nous avons jeté notre dévolu sur Port Atheni à l'est de cette île. Tout ce que nous cherchions s'y trouvait, avec en plus le calme. En nous réveillant lundi matin, nous avons chaussé nos chaussures de marches, préparé nos sacs à dos et sommes partis à l'assaut vers le village de Katoneri. Au bout d'environ un kilomètre et demi, il nous est apparu, avec ses ruines datant du dernier tremblement de terre, ses maisons reconstruites aux normes antisismiques et fortement ferraillées, ses commerces locaux bien vivants et ses exploitations agricoles. Il s'agit essentiellement de cultures d'arbres fruitiers et d'oliviers, ainsi que d'élevage de volailles et d'ovins. En effet, ici, le rocher dépasse l'herbe, et, même si le dépierrage permet de dégager quelques arpents de terre par endroit, et de construire des murettes, il serait très difficile de cultiver les céréales ou même de la vigne autrement qu'en treille.

paroissiennes



Mais ce qui nous a le plus ému est d'entendre ce que nous avons interprété initialement comme l'appel du muezzin. Naturellement il n'en était rien, mais notre ignorance profonde de la religion orthodoxe nous a fait faire cette confusion indigne d'européens convaincus que nous prétendons être. Il s'agissait de la liturgie d'une fête religieuse locale, diffusée depuis l'église par haut parleur, incitant probablement les paroissiens à s'y associer si ce n'est à s'y rendre. Et l'église était pleine de jeunes, de vieux, d'hommes et femmes habillés pour la cérémonie. Après avoir été invité par un passant à y entrer, et avoir vu d'autres paroissiennes en tenue traditionnelle y arriver, nous nous sommes avancés dans l'entrée pour constater qu'elle ressemblait d'une façon frappante à toutes les autres églises orthodoxes que nous avons déjà vues et qu'un grande fête était en cours. Mais nous ne comprenions rien à ce que disait l'officiant et sommes assez rapidement ressortis. L'énigme du jour réside dans la plaque gravée que nous avons photographiée devant le presbytère et qui est peut-être l'explication de cette fête religieuse. Que les hellénistes se réveillent ! merci d'avance.

atheni



En retournant au mouillage, nous avons fait un petit arrêt dans le restaurant dominant la baie, que nous avions repéré d'en bas la veille au soir, pour y faire quelques photos. Mais il était fermé, nous avons donc achevé notre périple avec un café frappé dans une autre taverna au bord de l'eau, avant de regagner Dartag.



Puis nous sommes partis vers le continent, avec l'idée de faire le tour de deux îles peu citées dans les guides, presque inhabitées car évacuées progressivement depuis cinquante ans, en raison d'épidémies et surtout de tremblements de terre qui ont détruit presque totalement l'habitat et coupé les sources d'eau. Nous y avons trouvé deux mouillages extraordinaires:

Kastos



- le premier à l'extrémité nord de Kalamos (Cranos pour Homère), juste après avoir pêché un magnifique maquereau, le long d'une minuscule plage au bord de laquelle subsiste, bien que fortement ébranlée, une toute petite chapelle en pierre, nichée dans une forêt d'une telle épaisseur que l'on aurait pu se croire au bord d'un lac de montagne. Celle qui domine cette chapelle culmine à plus de 800 mètres d'altitude et fait écho à celles du continent tout proche, encore bien plus hautes, au pied desquelles se trouve le village de Mytikas.

- le deuxième à l'extrémité sud de Kastos après une navigation musclée dans le vent dominant de l'après-midi qui s'était levé bien fort. Ce mouillage complètement sauvage, où nous étions trois voiliers, nous a donné un excellent abri pour la nuit, entourés par les bruits de bêtes sauvages et éclairés par la lune au premier quartier: magnifique. Notre projet initial était de retourner découvrir les côtes sud de Lefkas, mais le vent aurait rendu cette étape trop inconfortable, nous l'avons donc remise au lendemain sans le moindre regret.



Ce mardi 30 donc, la nuit ayant porté conseil à Eole pour nous donner un vent adapté à nos besoins, nous avons rejoint Sivota, au sud de Lefkas, en slalomant au milieux des petites îles du parcours, toutes pelées et inhabitées. Il s'agit d'une merveille, encore une, au fond d'une sorte de fjord ensoleillé et inondé de fleurs. La fréquentation reste très acceptable et tous les quais de cet abri naturel accueillent des dizaines de voiliers venus du monde entier dans une ambiance très douce et chaleureuse. La tentation était forte et nous n'y avons pas résisté. Le diner au bord de l'eau avec des spécialité locales fût exquis: moussaka et styfado arrosés de vins blanc et rouge "home made", précédés de toasts assortis d'un sorte de mayonnaise ultra légère mais sans ail, et suivis de yaourts grecs servis dans un concentré de jus de tous les fruits locaux et parsemés de raisins de Corinthe. Trop bon ! et à ce prix on pourrait le faire tous les soirs, mais il ne faut pas trop abuser des bonnes choses !

Sivota



Nous ne savons pas comment va se poursuivre ce voyage, mais chaque jour nous volons d'émerveillement en émerveillement. Une vraie croisière de rêve au milieu de sites fantastiques, et de gens chaleureux et accueillants qui construisent leur avenir depuis cinq mille ans malgré les catastrophes telluriques dont on voit les traces partout dans ces îles.